Sunday, July 10, 2011

La vie ne vaut rien

Mardi dernier, j’étais en meeting avec deux amies et collègues de travail, et nous avions tous nos ordinateurs devant nous.



Machinalement, j’ai rafraichis le site de Cyberpresse sur mon écran, et c’est là que j’ai lu la nouvelle : Guy Turcotte déclaré non responsable. Ça m’a saisit comme un électrochoc. Tellement que j’ai relu la manchette à haute voix pour faire part de mon étonnement: Guy Turcotte déclaré non responsable.


Esther et Flavie m’ont regardé et j’ai senti que je venais de leur faire mal. On a partagé notre malaise pendant quelques minutes, puis on a continué à travailler avec une douleur en dedans qui ne passait pas.


Quelques jours plus tard, elle ne passe toujours pas. Pourtant, j’ai tout lu ce qui s’est écrit sur le sujet pour essayer de comprendre et calmer mon vertige. Ils ont été nombreux à nous l’expliquer ce verdict de non responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux…



Les onze jurés ont fait leur devoir. Ils ont fondé leur décision sur les faits qui leur ont été exposés et sur les opinions des experts entendus. Ils s’en sont remis à l’article 16 du Code criminel qui prévoit que la responsabilité criminelle d’une personne ne peut pas être engagée si cette dernière, au moment du crime, ne faisait pas la distinction entre le bien et le mal, ou n’était pas en mesure d’apprécier la nature et la qualité de ses actes.



Je comprends tout ça, mais la douleur est toujours là. Je dirais même qu’elle fait encore plus mal.



Les esprits rationnels ne devraient pas mépriser les gens qui, comme moi sont abasourdis par le dénouement de l’affaire Turcotte. Nous ne sommes pas d’émotifs vengeurs qui désirent lyncher l’homme qui a tué ses enfants. C’est beaucoup plus complexe que ça. Et ça va bien au-delà de cette cause.



Mardi, c’est la vie qui a perdu, une fois de plus.



Dans le monde des humains, la vie ne vaut rien. On se l’enlève, on se la gâche, on se la casse. La vie passe après l’argent, après le pouvoir, après Dieu. La vie passe même après l’amour. Alors on tue pour l’argent, pour le pouvoir, pour Dieu et même pour l’amour. Le monde se fout de ce qu’il y a de plus important. Le monde est fou. Le monde ne distingue que son bien et que son mal.



Et plutôt que de changer, que de bâtir une société qui placerait la vie au-dessus de tout, l’humain préfère justifier sa folie, l’excuser, la codifier. En fin de compte, les morts ont toujours tort. De toute façon, on ne peut plus rien faire pour eux. Alors on ne fait rien. Mais, ce faisant, on ne fait rien pour les prochains non plus.



Et c’est ce qui me fait le plus peur dans toute cette affaire, cette rationalisation de l’horreur. Cette défense de l’indéfendable. Ne nous demandez surtout pas de l’accepter. Les circonstances ne devraient jamais nous permettre de manquer à notre plus grand devoir d’êtres vivants : celui de prendre soin de la vie. Un parent a le devoir de prendre soin de ses enfants. Envers et contre tous, envers et contre lui. C’est ça, donner priorité à la vie.



Comment faire pour que les hommes arrêtent de se tuer ? Même pas besoin qu’ils s’aiment, juste qu’ils se sacrent patience. Qu’ils arrêtent d’essayer de régler leurs problèmes en éliminant les autres.



Où s’apprend le respect ?



Où s’apprend le sens des responsabilités ?



Où s’apprend la vie ?



À l’école ? À la maison ? Nulle part ?



Nous avons créé une société d’irresponsables. Et bien sûr, ce n’est la faute de personne.



Les questions fondamentales, on ne se les pose jamais, tellement on est pris par l’économie, la politique, le sport et les vedettes. Puis arrive un événement qui nous frappe au cœur. Qui nous fait nous sentir mal. Faut surtout pas se rassurer en se disant que tout est correct. Que la loi, c’est la loi. Que le système est ainsi fait. Qu’il faut tourner la page. Et passer à autre chose.



C’est l’inverse qui n’est pas normal. Toutes ces morts qui nous indiffèrent. Toutes ces morts qui ne nous empêchent pas de dormir. Toutes ces morts qui ne nous font pas mal. Pour une fois qu’il y en a deux qui nous bouleversent, laissons cette émotion nous nettoyer l’intérieur. On en a tellement besoin.



Il y a quelque chose de pourri au royaume des humains, et j’ai bien peur que ce soit notre âme.



La sentence de Guy Turcotte aurait été autre, la réalité serait la même, c’est juste qu’on ne l’aurait pas eue dans la face à ce point. Deux enfants sont assassinés. Personne n’est coupable.



C’est la vie.



Ce n’est rien.

Par le chroniqueur Stéphane Laporte.

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